La plupart des peuples africains ont des épopées composées de récits mythiques et spirituels qui ont permis à ces peuples de conserver leurs identités malgré les différents bouleversements survenus au cours de leurs histoires respectives.
AYONG vous présente aujourd’hui l’épopée Nyanga de la République Démocratique du Congo.
L'épopée Nyanga du Zaïre (Biebuyck 1969, 1978) est considérée comme le fruit de la rencontre d'une population migrante avec les Pygmées trouvés sur place, et qui jouent encore un rôle important dans les rouages sociaux et culturels de la société Nyanga. Elle rapporte les multiples faits et gestes de Mwindo, un héros extraordinaire de par sa naissance même, mais aussi de par son caractère et son comportement excessifs, que son destin projette dans une succession d'aventures fantastiques au cours d'un périple mouvementé qui le promène depuis ce monde jusque dans les royaumes souterrain, aquatique et enfin céleste, chez les diverses divinités ; périple dont, victorieux des monstres et des pièges et instruit du Bien et du Mal, il revient enfin en héros civilisateur et « civilisé » pour être intronisé chef par ses congénères. La mutation de ce personnage initialement hors du commun et outrancier dans ses actes comme dans ses propos, en un chef plein de sagesse et de mesure, apportant aux humains un Décalogue source de paix et de prospérité, est en effet le résultat d'un cheminement initiatique, long travail d'humanisation du héros, à travers épreuves et combats, et couronné par son ultime séjour dans les espaces célestes où, enfin passif, il a la révélation de ce que sont le Bien et le Mal avant d'obtenir l'autorisation de revenir sur terre.
Notons que, chez les Nyanga, le chef, mwami, a des attributs de caractère divin et qu'il n'est intronisé qu'après une période de mise à l'épreuve et une initiation clôturée par un rituel secret.
A travers ces représentations mythiques ou symboliques ainsi mises en forme dans ces récits imaginaires, l'épopée semble investie d'une vocation que l'on pourrait qualifier de « sacralisante » dans la mesure où elle donne au pouvoir politique sa caution divine, le chef y apparaissant comme le résultat de la métamorphose d'un héros sur-humain et parfois in-humain, par des divinités qui le façonnent et le modèlent au gré d'épreuves multiples.
Cette vocation sacralisante de l'épopée nyanga se trouve confirmée par certaines des conditions de l'apprentissage du genre épique et de la profération du texte par les bardes.
En effet, bien que la fonction de barde soit en principe accessible à tout un chacun et que la déclamation de l'épopée ne requière aucune condition rituelle spécifique, on relève autour de ce genre littéraire des indices flagrants d'une certaine sacralisation.
Chez les Nyanga, le terme de Karisi désignant le genre épique, est aussi le nom d'un chef mythique, père du héros Mwindo, et surtout le nom d'un Esprit. C'est généralement sur une injonction onirique de cet Esprit qu'un homme décide de devenir barde ; et si l'acquisition du savoir nécessaire exige un apprentissage « technique », elle se double aussi d'un culte rendu à cet Esprit, auquel l'élève doit faire des dévotions pour éviter toute difficulté ou retard dans son étude.
De plus, durant la narration de l'épopée, le barde lui-même est appelé du nom de cet Esprit, « Karisi », dont les emblèmes doivent être présents : épée plantée en terre près du récitant et clochette fixée à sa cheville ; alors il peut chanter, narrer, mimer l'un ou l'autre des nombreux épisodes de l'histoire de Mwindo, héros dont il tient le rôle, tandis que ses assistants l'accompagnent de percussions de baguettes et l'auditoire, de chants repris en chœur. Le barde, qui est investi d'une mission pour avoir été destiné par Karisi à l'étude des épopées, et puise dans ses chants la force même du héros que, dans sa narration, il incarne.
Nous ne pouvons qu'être frappés ici, par l'imbrication profonde des plans religieux, politique, sociologique et littéraire, qui marque cette épopée aussi bien dans son contenu que dans ses modalités de transmission et d'énonciation.
Les représentations idéologiques adoptent le langage du fantastique et du merveilleux ; langage qui repose sur toute une symbolique et traduit la dimension mythique de ces textes, seul niveau, semble- t-il, où ces populations réussissent à formuler de façon satisfaisante et efficace, l'expression littéraire de leur identité et de leur communauté.
En effet, du fait de leurs migrations anciennes, de leur situation écologique, de leur système d'organisation sociale et politique (lignages autonomes, petites chefferies, occupation hétérogène et dispersée du territoire), du fait de leurs représentations magico-religieuses, il apparaît logique que, pour se retrouver une identité unificatrice, de telles sociétés dussent avoir recours à une projection idéologique et « mythique » de leur histoire vécue ; projection qui — à l'instar d'autres rituels initiatiques ou politiques — réaffirme pour les uns, le rapport originel et essentiel qui lie les morts, ancêtres fondateurs du clan et instaurateurs de la société, aux vivants qui perpétuent ce clan et cette société en assurant la reproduction et la cohésion, et, pour les autres, le rapport qui lie le panthéon des divinités et l'espace cosmique à la société et à l'espace humain et trouve sa réalisation dans le héros-chef, médiateur sacré entre les deux mondes.
Par AYONG
Sources : www.persee.fr