Les bases militaires se multiplient au Niger. Après les Etats Unis et la France, l’Allemagne envisage d’en installer une nouvelle. La raison : la lutte contre le terrorisme. Est-ce le seul argument ?
Le 10 octobre 2016, la Chancelière allemande Angela Merkel a rendu une visite officielle en République du Niger. Cette visite s’est effectuée en prélude à l’installation très imminente d’une base militaire allemande au nord du Niger qui sera la 3ème après celle des Etats Unis et de la France. Officiellement, ces bases militaires sont installées pour lutter contre le terrorisme de Boko Haram et des autres groupes terroristes au Sahel notamment au Mali et au Niger. Est-ce leur véritable motivation ?
A la veille de la visite de la Chancelière allemande au Niger, un camp de réfugiés maliens sur le territoire nigérien a été attaqué, générant 22 morts et plusieurs blessés. Le 17 octobre 2016, des terroristes ont attaqué la prison de haute sécurité de Koutou-Kallé à une quarantaine de kilomètres de Niamey. Deux jours avant, le 15 octobre 2016, un humanitaire américain a été kidnappé par des éléments du MUJAO venant du Mali, son garde du corps et une tierce personne assassinés par les assaillants. Trois attaques terroristes en moins d’une semaine pour un pays qui abrite des bases aériennes et terrestres de deux grandes puissances militaires.
Avec tous les effectifs et les moyens logistiques déployés, on s’étonne que des militaires nigériens, basés presque dans les mêmes environs, ne soient pas informés de la préparation d’attaques sur leur position. Or, ces bases militaires de par leurs moyens et leur positionnement (Niamey, Agadez et Diffa), couvrent l’essentiel du Niger et du Sahel. Toutes les poches de conflits sont surveillées par des drones et avions de surveillance. Cela signifie raisonnablement qu’il n’y a pas un partage de renseignements collectés par les occidentaux avec les militaires nigériens. C’est ce manque de coopération qui étonne et frustre les Nigériens qui se demandent légitimement à quoi bon servent ces bases si ce n’est pas pour collaborer avec l’armée locale.
Par ailleurs, l’existence même des bases occidentales sur le territoire est un danger car pouvant attirer les hordes des terroristes qui se jurent d’attaquer l’Occident et ses alliés partout dans le monde. Les combattants de l’EI en Libye peuvent, pour se venger des bombardements occidentaux, s’attaquer au Niger. C’est d’ailleurs un des facteurs qui explique les incessantes attaques terroristes sur le territoire nigérien. Autrement dit, sur le plan miliaire ces bases produisent des effets contraires aux résultats escomptés.
Sur le plan économique, ces bases remplissent des missions de contrôle des approvisionnements en matières premières. Il n’est un secret pour personne que les mines d’Areva au Niger approvisionnent une importante partie des centrales nucléaires françaises. Pour assurer la stabilité de cet approvisionnement, un détachement de militaires français est affecté à la protection de ces mines. Le sous-sol sahélo saharien est riche en ressources naturelles. De l’uranium au pétrole en passant par l’étain, le phosphate, le sel, l’or et bien d’autres minerais. Ce qui explique « des stratégies de positionnement, de prise de contrôle, d’encerclement et de contre-encerclement […] à la définition des enjeux géopolitiques et géoéconomiques de la zone sahélienne. »[1]. Les Occidentaux concurrencent, via les bases militaires, les positions de la Chine qui est un partenaire de plus en plus incontournable en Afrique. Au Niger, la Chine est présente dans le secteur pétrolier avec la SORAZ qui est une coentreprise entre la CNPC (China National Petroleum Coorporation) et l’Etat du Niger. Elle est également présente dans l’or et l’uranium avec la China National Nuclear Coorporation (CNNC). Mieux, la Chine a failli ravir la vedette aux Français en étant très proche de remporter les concessions uranifères d’Imouraren. Précisons que l’Allemagne, dernier pays venu au Niger, est également présente dans l’exploitation de l’uranium à travers la Compagnie Urangeselschaft, actionnaire dans la SOMAÏR (Société des Mines de l’Aïr). Dans le charbon, ils sont en phase de reprendre le marché de la Centrale thermique de Salkadamna (qui est en principe aux mains des Américains). Dans le domaine militaire, la Chine n’a pas encore de projet officiel d’installer une base au Niger. Mais compte tenu de son importance économique, l’empire du milieu pense au Niger, ce n’est qu’une question de temps. Au-delà des ressources traditionnelles que constituent le pétrole, le charbon et l’uranium, le Niger dispose d’importants gisements de métaux rares qui peuvent attiser l’intérêt des Occidentaux. Il s’agit du gallium, du dysprosium, du niobium ou encore du zirconium. Ces métaux entrent dans la fabrication de pratiquement tous les produits de haute technologie comme les Smartphones, les tablettes, les satellites, etc.
L’autre enjeu derrière l’installation de ces bases militaires, et non le moindre, est la lutte contre la migration clandestine vers les pays de l’Europe et le trafic de drogue. En effet, les routes du trafic de drogue et de migrants se croisent au Niger. La cocaïne produite en Amérique Latine en direction des Etats Unis et de l’Europe transite notamment par le Niger[2] (passe de Salvador). Depuis la chute du Guide libyen, la migration clandestine vers l’Europe a repris de plus belle. Pour lutter contre ces phénomènes les Européens créent ou financent des centres de rétention et ou de transit de migrants à Agadez, Dirkou et Niamey. Ainsi, un financement de 50 milliards de Francs CFA est accordé au Niger par l’Union Européenne pour financer cinq projets entrant dans le cadre du plan d’action du sommet de la Valette (UE-Afrique) sur les migrations. En contrepartie, le Niger a accepté d’entraver la libre circulation de citoyens ouest africains, et ce contre les dispositions de l’UEMOA. Pire, il a accepté de réadmettre ceux qui ont fait l’objet d’expulsions du territoire Européen. Le Niger sert de frontières extérieures à l’Union Européenne. C’est à croire que le Niger est devenu le gendarme de l’Europe en matière sécuritaire et de lutte anti-migratoire.
Avec l’installation tout azimut des bases étrangères au Niger, c’est la souveraineté économique et territoriale qui se trouve aliénée tout en offrant un champ de bataille légitime aux terroristes.
*Alassane Soufouyanou Abdourahimoune est Doctorant nigérien en droit international des droits de l’Homme (DIDH).
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
Source: www.afrik.com