Renouant avec les grandes monographies africanistes, ce livre brosse un tableau inédit de la vie associative au Cameroun, où se mêlent valeurs de modernité et legs du passé, et renouvelle l’approche anthropologique de la condition de cadet au sein de la chefferie bamiléké.
Convié à des funérailles dans une chefferie bamiléké, l’ethnographe se glisse dans la cour d’une concession. Il y a déjà un public nombreux. Un groupe de danse du nom de Mini Nzang offre un étrange spectacle, qui associe brèves chorégraphies, saynètes et spectacle de rue. Une canne et un porte-drapeau sont plantés devant l’orchestre ; l’une est sculptée d’une tête de notable, l’autre d’un lion. Un personnage évolue seul, vêtu d’une houppelande colorée en fibres de raphia et masqué d’un cimier ; il tient les spectateurs à distance, brandissant de temps à autre la canne. Un deuxième personnage, d’allure burlesque, portant une cagoule de bourreau, fait alors son entrée. Intrigué, considérant les matériels et les symboles déployés, l’ethnographe se tourne vers son voisin :
« S’agit-il de notables ?
— Du tout, c’est le Pénemfon, un groupe de danse du village. Ça, ce sont les jeunes.
— Et ils ont le droit de porter des masques et de posséder de tels objets ?
— C’est leur tenue. C’est pour leur groupe. »
Fait anodin pour ce familier de la cérémonie, surprise pour l’ethnographe. Comment des jeunes exclus de la hiérarchie des titres nobiliaires peuvent-ils arborer de tels attributs en la circonstance ? N’y a-t-il pas usurpation ?
Chants, danses, comportements excentriques, parfois contestataires, et performances : le spectacle offert lors des funérailles par les associations culturelles de danse traditionnelle de l’ouest du Cameroun, animées par des jeunes hommes exclus de la chefferie, les cadets bamiléké, constitue un phénomène social total et interroge l’histoire contemporaine du pays. Elles mettent en évidence l’intrication profonde des valeurs de la modernité et du legs du passé.
• Le rôle des associations en Afrique, et au-delà dans un État-nation
• Un éclairage inédit sur l’impact de la colonisation
• Comment des performances artistiques interrogent l’histoire d’un pays
SOMMAIRE
Avant-propos. Spectacles inattendus aux funérailles
Introduction. De la trajectoire des cadets bamiléké
Chapitre premier. « Les morts ne sont pas morts »
« Quelle est cette malchance ? » Du malheur à la malédiction
« Marcher sur les pas de son père »
Les défunts « réclament » leurs funérailles
Chapitre 2. Aux funérailles du chef
Le chef est mort, vive le chef !
Considération et convoitise aux funérailles
Les associations de danse traditionnelle célèbrent les funérailles du chef
Chapitre 3. Payer le droit de danser
Les fraternités d’âge mandjon
Le droit de danser le kè
Le serment du mandjon
Vie et mort des mandjon
Chapitre 4. Les chefferies du divertissement
L’« évolué » et son village
La chefferie de l’extérieur : nouvelle hiérarchie de réunions et de titres
De la ville au village : l’avènement des labels de spectacle
Les chefferies du divertissement
Chapitre 5. Le cadet bamiléké en figure nationale
Le « microcosme de la négritude »
Le parti unique à l’assaut de la chefferie
De l’emblème statutaire au bien commun
« La danse des responsables »
Chapitre 6. « Tu roules et tu meurs ! »
Une sortie avec Mini Nzang
« Montrer sa capacité »
« C’est comme du football »
« Créer des situations »
Chapitre 7. « Ne vous approchez plus du feu ! »
« Tout est en place ! »
Techno parade et manipulation du feu
« Ne vous approchez plus à côté du feu ! »
Chapitre 8. « Tu ne connais pas »
« Parler d’une seule bouche »
La parole du Kana
Les « sacs » du Kana
La « propagande » dans le Pénemfon : user et abuser des emblèmes statutaires
Épilogue : « Les quatre yeux du créateur »
Chapitre 9. « Si l’animal monte sur la natte, on l’égorge »
Le Kana : pouvoir et contre-pouvoir
Des réunions au service du débat politique et de l’action militante
Les visages du Maquis
Les réunions sous le Maquis : l’engagement dans la lutte armée
Les homologies entre l’ANLK et le Kana
Chapitre 10. « Tu n’entendras plus jamais parler de ça »
Devins et guerre du Maquis
Du kungan au Kana : sacrifice par le feu et apaisement des défunts
Des associations de danse investies dans la « tradition »
« Enlever le malheur »
Conclusion. Figures de cadets
Glossaire
Sources et bibliographie
Table des illustrations