Les héros ne meurent jamais : Hommage à Grégory NGBWA MINTSA « Pa’ Gré »

Pagre 2La vocation première du site panafricain « AYONG » est de vous faire (re)découvrir des personnalités africaines ou afro-descendantes (artistes, chercheurs, intellectuels, sportifs, hommes d’affaires, personnalités politiques, acteurs associatifs, syndicalistes…).

Aujourd’hui, nous voulons partager avec vous le parcours d’un d’exception qui nous a quittés il y a tout juste un an, le 10 avril 2014. Nous allons vous raconter l’histoire d’un héros national et panafricain d’origine gabonaise : Grégory NGBWA MINTSA (affectueusement appelé « Pa’ Gré »).

Dans son dernier discours prophétique (intitulé « J'ai été au sommet de la montagne ») prononcé dans une église de Memphis le 3 avril 1968, la veille de son assassinat, Martin Luther KING, grand combattant de la liberté, disait ceci : « Comme tout le monde, j'aimerais vivre longtemps. La longévité est importante, mais je ne suis pas concerné par ça maintenant. Je veux juste accomplir la volonté de Dieu. Il m'a permis de gravir la montagne ! J'ai regardé de l’autre côté, et j'ai vu la terre promise. Je n'y entrerai peut-être pas avec vous. Mais je voudrais que vous sachiez ce soir, que notre peuple entrera dans la terre promise. Et je suis si heureux ce soir. Je n'ai aucune crainte. Je n'ai peur d'aucun homme. Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur ! »

Le 10 avril 2014, il y a un an jour pour jour, nous avons appris le décès d’un autre grand combattant de la liberté. Comme tous ceux qui l’ont connu, rencontré, admiré, nos cœurs ont beaucoup saigné en apprenant cette disparition tragique. Le Gabon venait de perdre l’un de ses plus illustres fils, une figure emblématique de la société civile, un intellectuel engagé, un électron libre, un homme d’une intégrité exceptionnelle, un héros national gabonais (dans un pays qui manque cruellement de figures héroïques) : Grégory NGBWA MINTSA « Pa’ Gré ». Le décès de Pa’ Gré n’était pas seulement une immense perte pour le Gabon, mais pour toute l’Afrique car le combat qu’il menait contre les dictatures, l’enrichissement illicite, et pour la liberté de la presse, allait largement au-delà des frontières de son pays. Il suffit de lire ses nombreux écrits, de visionner ses conférences, ses interventions à différentes manifestations pour se rendre compte de la dimension panafricaine du personnage.

Pagre 3Comme tout le monde, Pa’ Gré voulait vivre longtemps, mais les ancêtres en ont décidé autrement. Tous ceux qui l’ont connu et côtoyé se souviennent de cet homme agréable, sociable, « sans histoires » ; un homme aux multiples facettes : musicien virtuose (guitariste et pianiste), grand danseur de rock n’ roll et de Funk (dans sa jeunesse), grand amateur de musiques noires (Jazz, Blues, Rhythms and Blues, Soul music, Reggae, Rock n’Roll, Funk, Disco, Afro-beat, Rap,…), intellectuel inclassable, professionnel des médias concepteur de plusieurs émissions à Africa n°1, journaliste engagé, homme de culture, …

« l’Etat, c’est qui? Qui est souverain? Quelle est notre place dans la vie publique? Quels sont nos droits? Le Gabon est, entend-on dire, un pays souverain. Mais cette souveraineté n’est que territoriale, c’est-à-dire aux frontières, mais pas à l’intérieur. Le Gabon, c’est qui ? Qui exerce cette souveraineté? La plus grande escroquerie de notre histoire est celle qui veut nous faire croire que le peuple est souverain. Mais peut-on être souverain dans un espace qui ne nous appartient pas? Les Noirs sous l’apartheid, les Palestiniens des territoires occupés ou les Tibétains ont la réponse à cette question. Cette confiscation de souveraineté explique le fonctionnement de notre soi-disant Etat. »

Pa greGrégory NGBWA MINTSA

Pa’Gré est né le 02 septembre 1957. Fils d’André MINTSA (ancien député, ancien ambassadeur et ancien ministre gabonais). Il séjourne en France de 1962 à 1965 (alors que son père est ambassadeur du Gabon en France), puis de 1968 à 1972 (il est élève dans un collège privé). De retour au Gabon en 1972, il est élève en classe de 2nde au Lycée National Léon MBA à Libreville et s’assoit sur le même banc qu’un certain André MBA OBAME. Ensemble, Pa’ Gré et MBA OBAME feront leurs classes au Lycée MBA (Seconde, Première et Terminale).

Esprit brillant et élève doué, Pa’ Gré obtient le bac en 1975, à l’âge de 17 ans et demi (ce qui, à l’époque, était exceptionnel). Il entre à l’Université de Libreville où il suit des études de Lettres. En 1978, il quitte le Gabon et part poursuivre ses études universitaires en France. Il séjournera dans plusieurs villes (Paris, Poitiers, Amiens…) et décroche un DEA de Lettres.

Durant ses années d’études, il milite activement dans l’opposition et dans l’AGEG (Association Générale des Etudiants Gabonais de France), un mouvement d’étudiants révolutionnaires et contestataires qui faisaient peur au régime d’Omar BONGO.

Pagre 11De retour au Gabon en 1986, on lui refuse un poste d’enseignant à l’Université Omar BONGO. Finalement, sa passion pour la musique le conduira vers Africa n°1, la radio panafricaine où Pa’ Gré présentera plusieurs émissions musicales dont le célèbre « Sono Sauvage ».

En 1990, il participe à la Conférence nationale au sein du mouvement des écologistes gabonais et dénonce les dérives du régime BONGO. Par la suite, il propose ses services au RNB (Rassemblement National des Bûcherons), le principal parti de l’opposition. Il devient rédacteur en chef du journal « Le Bûcheron ». Son engagement politique lui vaudra les foudres du régime en place. Il reçoit une balle lors d’une marche pacifique organisée par l’opposition (il est sauvé de justesse par la camera qu’il tenait), puis il est « limogé » d’Africa n°1 sans ménagement. Sa carrière professionnelle est « brisée » et Pa’ Gré va connaître dès lors une véritable traversée du désert, parsemée d’embûches.

En décembre 1998, lors de l’élection présidentielle, il est sauvagement agressé par une bande de voyous (envoyés par un parti politique) et laissé pour mort. Une fois encore, il sera sauvé de justesse.

Electron libre et esprit critique, il est le premier qui dénoncera l’imposture de Paul MBA ABESSOLE. Par la suite, il n’hésitera pas à critiquer sévèrement les postures, « les petits arrangements entre amis » et les connivences de certains leaders de l’opposition gabonaise (Paul MBA ABESSOLE, Pierre MAMBOUNDOU, etc.) avec le pouvoir en place.

En 2008, Pa’ Gré s’associe à l’ONG Transparence Internationale dans l’affaire des Biens Mal Acquis (plainte contre trois dirigeants africains pour détournement de fonds et de biens publics). On lui propose alors de retirer sa plainte, en contrepartie d’un poste juteux ou de quelques billets de banque bien craquants. C’est mal connaitre le personnage. En effet, l’homme n’était pas porté sur le luxe, l’argent, les postes ronflants, les titres pompeux, les honneurs…

En décembre 2008, avec d’autres membres de la société civile (dont Marc ONA ESSANGUI), Pa’ Gré est arrêté sur ordre de son ancien camarade de classe, André MBA OBAME (ministre de l’Intérieur) qui voulait probablement faire du zèle et plaire à son chef, Omar BONGO.

Il faudra la mobilisation des ONG internationales (notamment françaises) pour qu’ils soient tous libérés, après plusieurs jours de détention. Par la suite, son salaire est « coupé » et son passeport confisqué. Mais l’homme reste inflexible, droit dans son éternel blue jean’s, droit dans ses baskets et fidèle à ses convictions…

Pagre 12Grégory NGBWA MINTSA, Prix de l’Intégrité Transparence International 2009-2010 était un membre actif de la société civile gabonaise et le porte-parole du « Front des indignés du Gabon » qui, à travers le « Forum des indignés du Gabon », a tenté une contre-manifestation au New-York Forum Africa. Son combat pour la liberté du peuple gabonais a été reconnu et salué sur la scène internationale.

Toute sa vie, Pa’ Gré a refusé d’aller à la « mangeoire » comme d’autres avant et après lui. Il a refusé toute forme de compromission. Il a refusé les honneurs, les postes « juteux », les mallettes d’argent… pour rester un homme libre, fidèle à son idéal de justice. Il aurait pourtant pu assurer ses vieux jours, assurer financièrement et matériellement l'avenir de ses enfants. Il aurait pu se "prostituer" comme d'autres avant et après lui. Mais cet homme appartenait à une "espèce en voie de disparition". Il appartenait à ce cercle très fermé des hommes intègres et libres.

Comme nous vous le disions plus haut, le continent africain a perdu un de ses plus illustres fils.

« Depuis son accession au pouvoir en 1967, le mandat perpétuel d’Omar Bongo a reposé sur un seul et unique fondement: l’argent. Si, en 49 ans d’indépendance dont 42 ans au pouvoir, il n’a laissé que 900 kilomètres de routes bitumées dont les principales ont été entièrement financées par l’Union Européenne; si notre pays tropical est très loin d’assurer son autosuffisance alimentaire, alors que la végétation est si incontrôlable et si envahissante que l’herbe profite de la moindre faille dans le bitume ou sur une dalle de béton armé pour pousser; si notre plateau sanitaire est tel que tomber malade relève du luxe, si le système éducatif est un peu plus régressif chaque année; si le Gabon est un des pays les plus chers du monde, c’est parce que nos ressources, que l’on peut qualifier d’immenses au regard de notre petit million et demi d’habitants, n’ont servi qu’à une cause: la pérennisation d’un pouvoir. Celle-ci s’est faite par le clientélisme, l’achat des consciences, le financement de réseaux d’affaires, l’achat d’articles hagiographiques dans la presse (vous verrez bientôt quelques prestigieux journaux négropolitains mettre la clé sous la porte), le financement de partis politiques et de candidats à des élections français, l’achat du respect des chefs d’Etats africains (les exceptions sont rares), la médiation des conflits (montée en briques craquantes et jamais trébuchantes, couverte en tuiles ou en ardoises allégeantes)… »

Pagre 14Grégory NGBWA MINTSA

Nous avons voulu partager avec vous l’histoire de cet homme brillant qui ne consommait que deux drogues (la Dunhill et le Coca-Cola), cette bibliothèque vivante. Un homme d’une culture exceptionnelle, avec qui nous avions passé des moments extraordinaires et inoubliables. Un homme libre et intègre qui inspirait RESPECT et ADMIRATION et qui devrait, à notre sens, inspirer toute la jeunesse africaine.

Nous nous souviendrons toujours de nos rires, de notre passion commune pour la musique noire américaine et jamaïcaine, de nos moments de rigolade, de nos interminables débats passionnés et passionnants.

Comme Martin Luther KING en 1968, Grégory NGBWA MINTSA est arrivé au sommet de la montagne en 2014. Il a regardé de l'autre côté et a vu la Terre promise. Il n'y est peut-être pas entré avec nous... Mais sachez que cet homme libre et intègre a vu la Terre promise.

Cet homme qui n’aimait ni les honneurs ni les titres pompeux et ronflants est rentré, malgré lui, dans le Panthéon des héros du continent africain.

 

Par AYONG

 

Ricky

Dr. Ricky NGUEMA-EYI

Sociologue, spécialiste des médias et des questions de discriminations

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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