Le Pr Molefi Kete Asante est Directeur du département d’Etudes Africaines de l’Université d’Etat de Temple (Philadelphie), initiateur historique des Départements d’Etudes Africaines au sein des universités américaines et surtout il est encore à l’origine de la philosophie de l’Afrocentricité visant à replacer l’intérêt de l’Afrique au cœur de nos préoccupations.
Intervention du Pr Molefi Kete Asante au Colloque International Menaibuc en 2004
« Si l’on tient compte des données actuelles, on se rend vite compte que l’Afrique a été abandonnée par ses propres enfants. Nous lui avons tourné le dos, nos efforts sont orientés vers l’extérieur et elle ne constitue plus notre point de repère culturel, idéologique, historique et économique. Nos ancêtres ne représentent plus rien pour nous et demeurent même inconnus pour la plus part d’entre nous, après la colonisation.
Il en résulte que l’Europe, qui ne dote du label de "l’Universalité", que ses propres expériences, le fait avec notre approbation et notre résignation. Nos efforts sont donc orientés vers l’occident qui demeure au centre de notre pensée tout en offrant à notre humanité africaine profonde et aux expériences de nos ancêtres, qu’un minuscule espace qui de toute façon, se situe en marge des expériences du monde dit "civilisé".
L’occident s’est donc placé arbitrairement comme le centre de référence de l’humanité et toute pensée contraire est forcément inférieure, fausse et négative. A ce titre, les expériences africaines demeurent marginales tandis que les expériences européennes sont dites, elles, "Universelles".
On parle alors de la première et de la deuxième guerre mondiale, alors qu’il ne s’agit essentiellement que de guerres européennes quand au fond. Le Moyen Orient et l’extrême Orient sont des références géographiques pour qui ? Les Européens essentiellement, mais pas pour les Africains ou les Asiatiques. Et pourtant ces termes sont largement usités aussi par nous.
Lors de la conquête européenne du monde, ces derniers ont rebaptisé l’essentiel des lieux géographiques, des hommes, de la faune et de la flore de notre planète, selon leur propre terminologie. Mais leur terminologie véhicule aussi l’idéologie coloniale et profondément raciste en vigueur à cette époque. Le dogme historique "Christophe Colomb a découvert l’Amérique" sous-entend que les Indiens qui y vivaient déjà n’étaient pas des hommes mais des sous-hommes. Ou encore "Platon a inventé la philosophie" vise à nier la faculté humaine naturelle de s’interroger sur son passé, son présent et son devenir. Ce ne sont que des exemples parmi des milliers d’autres.
Je combats et je refuse catégoriquement cet "universalisme européocentrique dogmatique" qui n’intègre dans ses frontières que le patrimoine historique et culturel des Européens. Cette exclusivité est une injure à l’humanité qui cache à peine le sentiment de supériorité des Européens sur les autres races et leur mépris profond pour l’humanité dans sa diversité.
Le concept de l’afrocentricité que je défends, n’est pas le contraire de l’européocentrisme unilatéral et dogmatique. Non ! Notre objectif est de montrer qu’il existe un point de vue africain différent du point de vue européen, voire qu’il existe une multiplicité de points de vue (asiatique, arabe, indien, africain, etc...). Ainsi, il s’agit de mettre un terme définitif à l’hégémonie dogmatique raciale occidentale dans nos esprits.
En identifiant volotairement les Nègres à l’esclavage et à la sauvagerie, l’occident crée des frontières artificielles qui faussent nos rapports humains, politiques, spirituels et économiques avec le reste du monde. Cette entreprise avait pour objectifs, de créer les conditions favorables à la mise en place d’un business de chair humaine (esclavage) et de créer des cadres psychologiques restrictifs pour enfermer les Africains, restreindre leur liberté aux quatre coins du monde, limiter au maximum leurs connaissances, obtenir leur soumission à des dieux étrangers, tout cela afin de perpétuer ce business sous des formes multiples avec la complicité, plus ou moins avouée, de certains d’entre nous. Jusqu’à aujourd’hui, l’humanité africaine est ridiculisée, dévalorisée et dépréciée dans les médias occidentaux.
L’afrocentricité est donc la reconquête de l’homme africain par lui-même afin d’en faire un individu autonome, doté de son propre paradigme (système de valeurs). Le panafricain afrocentriste, refuse toute tutelle extérieure faisant injure à son intelligence. Son intelligence est d’ailleurs sa meilleur arme pour aborder les défis que lui réserve l’avenir.
L’africain afrocentriste demeure insensible aux arguments des consciences extérieures coloniales sur sa culture, son histoire et ses ancêtres. Il est seul en mesure de juger de leur pertinence ou non. L’afrocentricité est une démarche philosophique qui vise à nous obliger à changer notre regard sur nous-mêmes et à rechercher les matériaux de notre propre paradigme dans notre propre patrimoine historique, culturel et spirituel africain et cela en premier lieu. L’Afrique a donné naissance au premier homme moderne de l’histoire de l’humanité dit "Homo Sapiens Sapiens", à ce titre, notre démarche est donc légitime.
Les premiers mots usités pour nommer les choses furent africains !
Les premiers mots pour nommer la faune, la flore et les pays du monde furent africains !
Les premiers mots pour nommer les découvertes scientifiques et technologiques furent Africains !
Les premiers mots pour nous désigner nous-mêmes étaient africains !
Le premier mot pour nommer Dieu était Africain !
Au commencement était donc le verbe et il était A-FRI-CAIN !
Personne à l’époque ne nous traitait de "Noirs" ou ne nous appelait par nos noms d’ex-colonisés, en disant Mr Washington, Mr Mercier ou Mr El Assiouty pour la simple raison que les autres variétés humaines n’existaient pas !
Telle est notre réalité historique, que nous le voulions ou non ! Les concepts de la hiérarchisation des races humaines, le racisme, l’esclavage déshumanisant, la xénophobie, l’escroquerie commerciale à grande échelle dit "échanges économiques avec l’Afrique" ou "coopération économique", ne sont pas nés de nous !
De telles pratiques dénotent un mépris profond pour l’humanité dans sa diversité !
L’afrocentricité est le contraire de tout cela et se bat pour la vraie fraternité universelle. Elle nous invite à nous placer, dans toutes les situations, en tant que sujet principal et non plus en tant qu’objet marginal pour y arriver. Il s’agit de discuter d’égal à égal avec les autres composantes de l’humanité. A ce titre, elle impose un défi au panafricain qui n’applique pas la vérité de ses ancêtres avec rigueur.
Connaître par exemple les rois de France, la généalogie de Mahomet ou la généalogie de David et de Salomon et ne pas connaître les rois africains Narmer, Djoser, Akhenaton, Piankhy, Nzinga ou Chaka Zulu est déjà un pied de nez fait à son humanité africaine fondamentale ! Apprendre la lignée de la reine d’Angleterre et ne pas connaître les principaux rois du Bénin (Igodo, Ere, Akhuankhuan, Owodo, Evian, Eweka, Esigie, Obanosa et Adolo) ou d’autres régions d’Afrique, c’est également dévier dangereusement de son centre africain !
La musique "classique" est "classique" pour qui ? Les Africains ou les Européens ? Car notre musique "classique" est le Gwo ka, les tambours du Bénin , le jazz, le Zouk, le Mazouk, le gospel d’Afrique du sud, etc... Il en est de même pour nos danses dites "classiques". Et cela est valable pour tout les reste !
La logique afrocentrique repose sur notre patrimoine historique, spirituel et culturel et c’est en cela qu’elle nous rend plus fort et plus autonome. Toute déviation est le résultat du fait que nous avons placé notre intelligence africaine sous la tutelle d’une conscience étrangère. Nous ne pouvons plus agir de façon autonome et demeurons prisonniers de concepts idéologiques étrangers dogmatiques, nocifs et mensongers que veulent notre capitulation pour mieux voler nos richesses.
L’afrocentricité a ses principes. En voilà quelques-uns uns :
Honorer et valoriser les expériences de ses ancêtres procède d’un acte indivisible pour le panafricain.
Une personne sage parle avec précaution et dit la vérité car chaque mot qui est passé entre ses lèvres, le fait pour une raison donnée.
L’unité est comme une fleur, elle connaît sa gloire dans sa plénitude.
Libérez-vous de toute tutelle étrangère. C’est la seule vérité !
Vous êtes un peuple historique. La Voie fut ouverte à nos ancêtres. Elle nous est transmise, inscrite dans notre propre parcours historique.
Lorsque que vous sous savez dans le vrai, dite le fort.
Vous ne devez jamais douter de l’afrocentricité, elle imprègne votre existence humaine.
Respectez-vous les uns les autres. Saluez-vous lorsque vous vous croisez.
Privilégier ce qui nous uni et minimiser ce qui nous divise, tel est le secret de notre réussite et de notre sentiment de fraternité africaine.
Rester ouvert au monde et ne déprécier jamais notre patrimoine africain surtout devant vos enfants, telle est la Voie.
L’Afrocentricité est donc une puissante force transformante qui nous aide à saisir le vrai sens de nos âmes et de notre humanité.
Il y a cinq niveaux de conscience à cette transformation :
1- L’Africain reconnaît que sa peau et son héritage sont africains, sans pouvoir aller plus loin que cela. C’est la reconnaissance épidermique.
2- L’Africain reconnaît que sa société réagit par rapport à son identité profonde et il repère les agressions xénophobes dont il est victime. C’est la reconnaissance de l’agressivité de l’environnement.
3- L’Africain dit apprécier la musique, la danse ou autre chose tout en restant de le vague. C’est la conscience (imparfaite) de sa personnalité.
4- L’Africain se sent concerné par les problèmes que rencontrent les noirs en général mais reste sous l’influence des concepts idéologiques étrangers à son humanité profonde. C’est la conscience collective non afrocentriste.
5- L’Africain lutte pour l’émergence d’une conscience africaine autonome possédant ses propres repères et ses propres idéaux. Il a compris que la liberté de son peuple passe par la liberté de se penser africain et de se valoriser à partir de son patrimoine historico-culturel. C’est le niveau par excellence à atteindre par tous. Telle est l’afrocentricité.
Cette démarche nous conduit naturellement à nous interroger sur les lieux de valorisation de notre culture africaine dans nos villes (université, librairie, cinéma, etc...) à nous respecter les uns les autres et à éviter les zones de conflits.
En démontrant l’unité culturelle des peuples de l’Afrique noire, l’origine africaine de l’humanité, les racines africaines de la civilisation pharaonique et la nécessité de fonder une conscience africaine autonome capable de relever les défis que nous dresse l’avenir, le professeur Cheikh Anta Diop illustre à la perfection, la pensée afrocentriste et reste à tout jamais, le modèle que nous devons tous suivre.
Notre idéal : la Renaissance Africaine !
Il n’y a pas d’autre issue !
Je vous remercie »
Source: http://www.kwanzaa-apck.com/article.php3?id_article=7