A l’occasion de la célébration des 70 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le site panafricain AYONG entend exhumer l’histoire de ces dizaines de milliers d’Africains qui ont vaillamment combattu dans l’armée française et lutté contre le nazisme.
Nous allons précisément vous raconter le parcours et l’histoire d’une figure singulière de cette guerre : le Capitaine Charles N’Tchoréré, un illustre soldat franco-gabonais qui a payé de sa vie la libération de la France, le 7 juin 1940.
Il existe des héros que l'on célèbre et qu’on honore dignement. Et d'autres qui sombrent lentement dans l'oubli. Le capitaine Charles N'Tchoréré, qui a participé aux deux Guerres mondiales sous le drapeau français, fait partie de ces figures oubliées par certains, honorées par d’autres.
Le parcours et l’histoire du capitaine N’Tchoréré nous amènent à nous questionner sur l’ambivalence ou la dualité de l’homme. Dans une Afrique colonisée, exploitée, dominée et humiliée, Charles N’Tchoréré peut-il, à juste titre, être considéré comme un héros gabonais qui a combattu pour la libération de la France ? Un héros français qui a combattu pour sa « chère patrie », la France ? Ou tout simplement un « indigène opprimé » qui a fait le choix de défendre son oppresseur (la France) face à la barbarie d’un autre oppresseur (l’Allemagne) ?
Nous laisserons à chacun de nos lecteurs la liberté de se faire sa propre opinion sur le personnage N’Tchoréré.
L’histoire du capitaine N’Tchoréré est représentative de celles de ces dizaines de milliers de combattants africains morts au front entre 1939 et 1945, dans une guerre qui n’était peut-être pas la leur.
Charles-Borromée N’Tchoréré-Messani est né le 15 novembre 1896 à Glass, un quartier de Libreville au Gabon, au cœur de l’Afrique Equatoriale Française (AEF). Issu d’une famille de notables de l’ethnie myéné, le père de Charles N’Tchoréré est agent de commerce au Cameroun (alors colonie allemande). Charles N’Tchoréré commence sa scolarité (cours préliminaires) à la Presbyterian Church de Baraka-station (mission protestante de Libreville). De 1904 à 1912, il suit assidûment les cours des missionnaires catholiques de Saint-Gabriel à l’école Montfort de Libreville. Il a comme condisciple Louis Bigmann (qui deviendra au moment de l’indépendance président de l’Assemblée nationale du Gabon). Chez les missionnaires, il reçoit une éducation studieuse et rigoureuse, une formation qui va éveiller chez lui le sens des responsabilités, du devoir et de l’ordre, et la noblesse du caractère.
En 1914, la Première Guerre mondiale éclate en Europe. En janvier 1916, le jeune N’Tchoréré s’engage dans l’armée coloniale, précisément dans un régiment de tirailleurs africains, communément appelés « tirailleurs sénégalais » bien que n’étant pas tous originaires du Sénégal. Charles N’Tchoréré entend défendre sa « chère patrie, la France » qui, semble-t-il l’oublier ou feint-il de l’ignorer, opprime, exploite et humilie son peuple. Durant le conflit, il est nommé sergent et devient le secrétaire d'un colonel.
En 1919, juste après la guerre, il est promu adjudant et envoyé au centre de formation des officiers et sous-officiers indigènes de Fréjus, dans le sud de la France. Dans cette école militaire, Charles N’Tchoréré qui se révèle être un élève brillant sort major de sa promotion en 1922 avec l’annotation « élève exceptionnel » marquée sur son dossier. Il devient instructeur à Fréjus, puis en 1925, il est promu lieutenant. Il est envoyé sur plusieurs champs de batailles, notamment au Maroc, en Syrie où il est blessé. Titulaire de nombreuses décorations militaires, il reçoit notamment la croix de guerre avec étoile d'argent pour sa bravoure et son exemplarité. Puis, remis de ses blessures, il est affecté dans l'administration où il écrit des articles pour La Revue des troupes coloniales et rédige un rapport sur la promotion sociale des sous-officiers indigènes qui a été adopté dans la plupart des unités africaines (la question de la promotion des sous-officiers africains et antillais dans l’armée française préoccupe particulièrement Charles N‘Tchoréré). Il est ensuite muté au Soudan français (actuel Mali), où il prend le commandement du 2ème régiment de tirailleurs africains à Kati.
En 1933, il est reçu au grade de capitaine et devient le premier officier africain nommé à la tête de l'école des enfants de troupe (le prytanée militaire) de Saint-Louis du Sénégal (une école militaire fondée en 1923 et chargée de former les futurs soldats africains de l’armée française).
En 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe. En quelques semaines, une partie de la France métropolitaine est occupée par les troupes allemandes. Aussitôt, le capitaine Charles N’Tchoréré rejoint la métropole pour prendre part aux combats et intègre le commandement d'une unité opérationnelle. Il devient ainsi l’un des responsables de la 5e compagnie du 1er bataillon du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (53e RICMS), sous les ordres du commandant Seymour. Les autres officiers et cadres européens placés sous son commandement lui témoignent une grande considération. Il participe aux combats de la Somme (dans le nord de la France) de mai et juin 1940. Le 53e RICMS a pour mission de freiner l’avancée des troupes allemandes venues par la Belgique. Le capitaine N’Tchoréré est ses compagnons d’armes ont pour point d’appui le village d'Airaines (dans le département de la Somme, à 30 km de la ville d’Amiens). Les combats contre les Allemands sont rudes.
Le 53e RICMS qui subit d'importantes pertes humaines oppose une farouche résistance aux troupes allemandes. Huit chars allemands sont détruits par les soldats du capitaine N’Tchoréré. Du 4 au 7 juin 1940, de sanglants combats opposant le 53e RICMS aux troupes allemandes à Airaines ont fait plus de 1200 morts.
Détruit presque entièrement à la suite des bombardements, le village d’Airaines est contourné et encerclé par les Allemands. Malgré les assauts et le pilonnage du village, les Allemands n’arrivent pas à briser la résistance des hommes de Charles N'Tchoréré. Devant cette résistance inattendue, les Allemands essaient de parlementer et tentent d’obtenir la capitulation des hommes du 53e RICMS. Sans succès. Face à cette résistance farouche, ils reviennent à l’assaut et bombardent à nouveau le bataillon de N’Tchoréré. Pour venir à bout de la résistance, les Allemands utilisent les lance-flammes.
Le 6 juin, à cours de minutions, le 53e RICMS ne compte plus que 15 soldats valides : 10 Africains et 5 Européens. Ils sont bien obligés de se rendre. Cernés par les troupes et les chars allemands, le capitaine N’Tchoréré et plusieurs de ses hommes sont faits prisonniers. Les Allemands séparent alors les Blancs des Noirs.
Le 7 juin 1940, le capitaine N'Tchoréré refuse d’être considéré comme un « Untermensch » (un sous-homme). Conformément aux conventions de Genève relatives aux prisonniers de guerre, le capitaine Charles N’Tchoréré fait valoir sa qualité d’officier français et demande à être traité en officier et non pas comme un homme de troupe. Il est froidement et lâchement abattu d’un coup de pistolet par un soldat allemand, devant ses troupes. Son corps, broyé par un char allemand, ne sera jamais retrouvé.
Près d’une semaine plus tard, non loin d’Airaines, son fils, Jean-Baptiste N’Tchoréré, engagé dans l’armée française, meurt les armes à la main.
Depuis juin 1940, le village d’Airaines (devenu une modeste commune de 2000 habitants) n’a jamais oublié le sacrifice de ce valeureux officier gabonais, venu de sa lointaine Afrique pour libérer la France. Pour tous les Airainois, le capitaine N’Tchoréré est encore aujourd'hui considéré comme un véritable héros, une légende.
Les hommages posthumes :
75 ans après sa mort tragique, le capitaine Charles N’Tchoréré a-t-il été honoré comme il se doit par la France ? Et par le Gabon, son pays d’origine ? Son engagement héroïque et sa carrière miliaire symbolisent bien le sacrifice des dizaines de milliers de soldats issus des colonies françaises.
En 1962, le Gabon a édité un timbre-poste à l’effigie du capitaine N’Tchoréré. Et une statue imposante a été érigée à Libreville, la capitale gabonaise.
Le Prytanée militaire de Saint-Louis au Sénégal porte désormais son nom.
En 2014, en France, la 198e session en région (Tours-Poitiers) de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) a choisi de porter le nom de « promotion Capitaine Charles N'Tchoréré » pour rendre hommage à ce héros des deux Guerres mondiales.
Mais l’un des plus beaux hommages rendus au capitaine Charles N’Tchoréré est, sans conteste, celui qui lui est rendu par la petite commune d’Airaines (dans la région de Picardie en France) depuis 1965.
Un mausolée a été érigé en juin 1965 en mémoire du courage et du sacrifice des soldats africains, et particulièrement du capitaine Charles N’Tchoréré.
L’une des principales rues de la commune d’Airaines a été rebaptisée « avenue du Capitaine N'Tchoréré ».
La commune d’Airaines et le Capitaine N’Tchoréré : 75 ans d’histoire
Située à 30km de la ville d'Amiens (dans la Somme en Picardie), Airaines (2.000 habitants) est l'une des rares communes de France possédant un monument dédié à un fils d'Afrique, en l'occurrence le Capitaine Charles N’Tchoréré, mort héroïquement le 7 juin 1940.
L'histoire d'Airaines et de l'Afrique commence pendant la Seconde Guerre mondiale, précisément en 1940. Lors des fameux combats de la Somme en mai et juin 1940, des centaines d’Africains appartenant au 53ème R.I.C.M.S. (Régiment d'Infanterie Coloniale Mixte Sénégalais) ont défendu la région de la Picardie. Parmi ces centaines d'illustres soldats anonymes venus d'Afrique pour défendre la France figurait un officier d'origine gabonaise : le capitaine Charles N’Tchoréré.
En mai et juin 1940, les combats d’Airaines et des environs ont fait plus de 1.200 morts.
Le capitaine Charles N’Tchoréré et ses hommes sont faits prisonniers par les Allemands.
Le 7 juin 1940, Charles N’Tchoréré est abattu devant ses troupes par l'armée nazie. Son corps est ensuite broyé par un char allemand.
Albert Poiret (1922-1988), âgé de 18 ans à l’époque et fils d'un fermier de la région, jure alors de rendre un jour un hommage mérité à ces milliers de soldats Africains qui ont donné leur vie pour la France. Au début des années 1950, Albert Poiret et son épouse Raymonde, s'offusquent de ne voir aucun monument, aucun édifice, aucune plaque commémorant la mémoire et rappelant le sacrifice de ces dizaines de milliers de soldats africains morts pour la France.
Albert et Raymonde Poiret décident alors de récolter des fonds dans la région afin de réparer cet oubli; et cela malgré l'opposition farouche d'une poignée de notables de la ville. Une dizaine d'années durant, ils vont récolter des fonds en organisant des manifestations socioculturelles et sportives (kermesses, corridas, tournois sportifs, courses de cyclisme...).
En 1965, Albert et Raymonde Poiret font construire une stèle dédiée au capitaine Charles N’Tchoréré à Airaines.
Le 7 juin 1965, soit 25 ans après les combats de la Somme, le mausolée N’Tchoréré est inauguré à Airaines en présence des autorités politiques et diplomatiques gabonaises, notamment Louis BIGMAN, Président de l’Assemblée nationale, Georges RAWIRI, Ambassadeur du Gabon en France...
Grâce à la persévérance de la famille Poiret, l'une des principales rues de la ville est rebaptisée ''Avenue capitaine N’Tchoréré''.
En 1969, l’Université d’Amiens est officiellement créée. Et en 1970, Albert et Raymonde Poiret se rendent à Amiens, à la recherche d’étudiants gabonais. Ils font ainsi la connaissance des deux premiers étudiants Gabonais inscrits dans cette université :
- Daniel ONA ONDO (aujourd'hui Premier Ministre, professeur agrégé d’économie) ;
- Fidèle MENGUE m’ENGOUANG (ancien ministre, professeur agrégé de droit).
Ces deux étudiants seront les premiers d’une longue liste à visiter régulièrement la petite commune d’Airaines, devenue une sorte de lieu de pèlerinage pour la communauté gabonaise.
Albert Poiret est décédé en 1988 à l'âge de 66 ans. Son épouse, Raymonde est décédée le 21 mars 2006 à l'âge de 82 ans.
En 2002, l’Association des Gabonais d’Amiens (AGA) a lancé une requête en sollicitant les autorités gabonaises pour la reconnaissance officielle et la décoration de la famille Poiret et du maire d’Airaines pour l’hommage rendu à un fils du Gabon.
En juin 2010, lors d’une cérémonie mémorable, Albert et Raymonde Poiret ont enfin été honorés et décorés, à titre posthume, par Mme Félicité Ongouori-Ngoubili, Ambassadeur du Gabon en France. Le maire de la ville, Jean-Louis Lefebvre et Robert Poiret, frère cadet d’Albert, furent également décorés pour leur engagement en faveur des combattants africains (revalorisation des pensions et reconnaissance des droits des anciens combattants africains). Cette reconnaissance, certes tardive, des autorités gabonaises fut âprement et longuement négociée par l’AGA entre 2002 et 2010.
A travers le parcours du capitaine Charles N’Tchoréré, le site panafricain AYONG, a voulu partager l’histoire de ces dizaines de milliers de soldats africains anonymes qui ont combattu pour la France, l’ancienne puissance coloniale.
Dr. Ricky NGUEMA-EYI
Sociologue Spécialiste des médias et des questions de discriminations
PS : Comme tous les ans, les Gabonais d'Amiens iront rendre hommage au capitaine Charles N’TCHORERE et à tous les combattants africains le dimanche 07 juin 2015 à Airaines.
Filmographie :
Film Camp de Thiaroye d'Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow (Sénégal, 1988).
Documentaire Les tirailleurs d’ailleurs d’Imunga Ivanga, (Gabon/France, 1996, 27’).
Bibliographie :
Jean-Patrick Mackossaud, Charles N’Tchoréré, un héros gabonais mort pour la France, Yvelin édition, juillet 2010.
Louis Bigmann, Le Capitaine Charles N'Tchoréré, Abidjan, NEA, 1983.
Patrick Ceillier, Charles N'Tchoréré, un même héros pour le Gabon et pour la France, Gabon Magazine, no 3, septembre 2007.
Charles Eboulé, La France rend hommage au Capitaine Charles N'Tchoréré, Gabon Magazine, no 12, octobre 2010.