Poème de Camara SIKHÉ : J’ai de la mémoire

Clairiere dans le ciel 491183 250 400

Je n’ai pas oublié

Ma mémoire n’est pas courte

J’ai une mémoire

Longue longue infinie

Une mémoire intraitable et têtue

Qui pousse

Jusque

Dans la nuit des temps

 

Ma mémoire est

Celle de mes frères et de mes sœurs

Celle de mes pères et mères

Celle de toutes les générations

De mon peuple

Qui a souffert

Tout le temps

 

Je suis de la lignée

Des deux cents millions

De mes frères

Qui ont connu

Les peines et les douleurs

Qui ont connu

La mort et l’humiliation

 

Je suis dans le sentier

Des morts et des humiliés des siècles

Je suis dans l’itinéraire

De ceux que

Par l’Europe criminelle

L’Afrique a perdus déracinés

Et qui ont été jetés

Dans tous les bagnes

Des Amériques

 

Ma mémoire est fidèle

Aux souvenirs amers perspicaces

A ce que dit l’histoire

De tous les temps

A ce que connaît l’expérience

De toutes les générations

 

Ma mémoire

Si longue

Si fidèle

Si têtue

Interroge l’histoire…

 

Ma mémoire sagace

N’a oublié

Ni les inégalités

Les injustices

Ni les prestations

L’indigénat

Le travail forcé

L’effort de guerre

Pour une guerre

Qui n’était pas notre guerre

Mais la leur

Celle des capitaux

 

Sur les routes de l’enfer

Dans l’air flamboyant

Sur les chemins brûlants

J’ai vu trimer les prestataires

Dans les vastes chantiers

Loin des villes des villages

Sous la pluie

Dans le vent énervé

 

Affamés exsangues

Criblés de blessures

Les yeux révulsés hagards

Privés exilés

Des centaines

Des milliers

Des millions

De travailleurs forcés déplacés

Ont souffert leur martyre

 

Les grandes forêts discrètes

Les vastes fleuves

Aux immenses caïmans

Les profondeurs abyssales des mers

Ont été témoins

Muets

De la tragédie centenaire

Des coupeurs de billes

Des coupeurs de bananes

Des cueilleurs de caoutchouc

Des ramasseurs de palmistes

Des chasseurs d’éléphants

Des chasseurs de crocodiles

Des pêcheurs de perles

De toute l’existence humiliée

De mes frères

 

Ma mémoire

Qui juge

Qui condamne

Ne pardonne pas

La disqualification

Que connaissent mes frères

Mes frères

Du Sud de l’Afrique martyre

Mes frères

De l’Angola invincible

Mes frères de l’irrésistible Bissao

Mes frères

Du courageux Mozambique

Ceux de Zimbabwe

De toute l’Afrique

Dépossédée

Violentée

Révoltée

 

Camara SIKHÉ 

                                                                                    Poème de combat et de vérité, P.-J. Oswald, 1967

Par OVENG

Source…Anthologie africaine : Poésie

Date de dernière mise à jour : 23/04/2016

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